Extraits

Baudouin, chef de région en Oubangui Chari, a été l’exemple parfait d’un bon administrateur et le souvenir qu’il a laissé tient un peu de la légende.
...
Le clou de la journée était sans conteste le moment où le Commandant rendait la justice. Pour ce faire, il installait sa table sous le grand manguier… à défaut de chêne. A sa droite un secrétaire, derrière lui les deux gardes, et en face, assis à même le sol, en arc de cercle, regroupés autour du chef et des notables, il y avait tous les habitants du village. Personne n’aurait voulu manquer le spectacle, pour rien au monde.

La première affaire jugée était une affaire d’adultère. A l’appel de leur nom le mari, la femme incriminée et le suborneur se présentèrent devant le Commandant.

-Ainsi tu accuses cet homme d’avoir fait «mauvaise manière» avec ta femme ?
-Oui mon Commandant. Il a baisé ma femme et il n’a même pas voulu donner l’argent pour la tromperie. C’est pour cela que je porte plainte devant votre Haute Dignité représentante du Droit Civil, Militaire et Ménagé.
-Oh ! Il faut que tu m’expliques ce qu’est le Droit Ménagé !
-C’est le droit qui protège les ménages des voleurs de femme.
-Tu m’en diras tant ! Mais dis-moi, s’il avait payé tu aurais porté plainte ?
-Oh non ! Avec mille francs je ne serais pas venu emmerder votre Haute Dignité.
-Et toi, jeune homme, que réponds-tu à ces accusations ?
-C’est tous des mensonges ! Est-ce qu’un jeune homme comme moi peut baiser une vieille femme si vilaine !
-Ca c’est vu. Le mari t’accuse aussi d’avoir refusé de verser le prix de la tromperie comme il dit.
- Payé ! Pour une vieille femme qui ne vaut pas cinquante francs !
-Désolé, mais je ne connais pas les tarifs… Et toi, Madame, que réponds-tu aux accusations de ton mari ? As-tu couché avec cet individu ?
-Jamais mon Commandant !
-Pourtant je lis ici que tu as avoué.
-C’est parce qu’il m’a bien battue. Regarde mon dos on voit encore les marques.
-En effet. Mari, est-ce toi qui as frappé la femme ?
-Oui mon Commandant, mais pas avant ! Après, quand elle a avoué et que cet avare n’a pas voulu payer !
-Très bien je vois que, chez toi, l’argent est ta seule préoccupation. Mais je vois aussi qu’on va passer tout l’après-midi sur votre affaire sans parvenir à dénouer le vrai du faux. Aussi pour accélérer je vous propose le Jugement de Dieu.

Aussitôt la foule hurla :
-Le Jugement de Dieu ! le Jugement de Dieu ! le Jugement de Dieu !
-C’est bon, dit le Commandant.

Puis se tournant vers l’un des deux gardes :
-Victor, tu sais ce que tu dois faire.

Le garde alla vers une cantine, tira un grand sac de jute, prit un coq que lui tendait un paysan, le mit dans le sac et porta le tout dans une petite paillote qui se trouvait juste à côté du manguier.

Le Commandant s’adressa alors au jeune homme :
-Acceptes-tu de te soumettre au Jugement de Dieu ?
-Ben…Euh…
-C’est oui ou c’est non ?
-C’est oui, s’écria précipitamment l’accusé qui se voyait déjà perdu !
-Alors voilà ce que tu dois faire : tu vas aller dans la paillote, tu vas mettre la main dans le sac et caresser vigoureusement le coq. Si la volaille chante c’est que tu as baisé cette femme. S’il ne bronche pas c’est que tu es innocent. Compris ?
-J’ai bien compris Commandant.
-Alors va et que Dieu te juge !

Toute cette procédure n’était certainement pas très républicaine et laïque, mais elle était adoptée par tous avec jubilation.

Sur ordre du Commandant l’accusé entra dans la paillote avec l’attitude du condamné montant sur l’échafaud. Aussitôt un silence de cathédrale vide s’installa sur l’assemblée ; toutes les oreilles guettaient le moindre caquètement. Rien !
-Et alors, aboya le Commandant ! Tu caresses ?
-J’ai déjà caressé mon Commandant !
-Recommence !

Toujours rien. Le silence absolu.
-C’est bon tu peux revenir.

Le jeune homme sortit de la cabane et vint se planter fièrement devant le Commandant avec l’air de celui qui a gagné la course.
-Montre tes mains.

Le gamin présenta ses mains qu’il avait bien propres et bien noires.
-Victor, le sac, ordonna le Commandant !

Le garde qui connaissait parfaitement son rôle plongea la main dans le sac et caressa le coq qui aussitôt se mit à piailler comme si on l‘égorgeait. Le garde retira sa main et la présenta au Commandant puis à la foule. Elle était blanche de farine.

Aussitôt une immense clameur s’éleva de la foule qui s’était levée d’un seul élan.
-Hou ! Hou ! Houououou ! Menteur, tricheur, violeur!

Pris de panique le jeune homme tenta de fuir. Mais Victor veillait et immobilisa le fugitif.
-Ainsi tu as menti, tonna le Commandant, et tu n’as pas caressé le coq. Et tu as menti parce que tu as bien baisé Madame ?
-Oui, avoua le Don Juan de brousse d’un air piteux.
-Dans ce cas je te condamne à une amende de 3000 francs et à dix coups de chicottes. Exécution immédiate !

Victor saisit les mains du condamné et le força à se pencher en avant. Son collègue appliqua la sentence d’une main ferme. Chaque coup était ponctué par un hourra de la foule.
-Quant à toi le mari je te condamne à 2000 francs d’amende pour avoir fait le maquereau en réclamant de l’argent. Et à dix coups de chicotte pour avoir battu ta femme. Exécution !

Le public applaudit à tout rompre. Et encouragea de ses hourras le bourreau.
-Toi Madame, tu m’as menti aussi et je devrais t’infliger la même peine. Mais comme tu as déjà reçu ta ration de coups je te tiens quitte.

Un oh de déception souleva la foule. Et voilà comment Mr Baudouin rendait la justice en ces temps heureux.
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A partir de 1966 il y eut à Bambari une police municipale placée sous l’autorité du maire, monsieur Ondoula. Ancien conseiller de l’Union Française il était le type même du «vieux nègre». Enveloppé, cheveux blanc-neige, intelligent, sage, fin, rusé, il avait beaucoup d’humour. J’aimais sa rondeur bon enfant et nous étions devenus amis malgré la différence d’âge. Je travaillais souvent avec lui car, outre son influence, il était le plus gros planteur de la région.


Un matin je roulais tranquillement en ville, lorsque je me fis arrêter par un policier. Un peu surpris car j’étais connu comme le loup blanc et tout le monde connaissait mon amitié avec le maire. Mais après tout, pourquoi pas puisque je ne bénéficiais d’aucun privilège. Je me suis arrêté et le policier s’est approché de ma portière. Il me salue avec la rigidité d’un Horse-Guard.
-Mes respects, monsieur Cornier.
-Bonjour jeune homme. Je peux faire quelque chose pour vous ? J’ai commis une infraction ?
-Oh non ! Patron je voulais simplement te saluer. Tu ne me reconnais pas ?
-Et bien…Et bien. C’est vrai que ta figure me dit quelque chose mais je ne me souviens pas de ton nom.
-C’est moi Sandaka, ton peseur !
-Effectivement je te remets, tu es dans le quart de Tchamo. Mais qu’est-ce que tu fais là en uniforme ? Tu remplaces un frère ?
-Pas du tout ! Je suis policier officiel, sérieux, pour de bon !
-Mais comment as-tu fais ? Chez nous, si mes souvenirs sont bons, tu ne passes pas pour être le plus malin ! Tu as fait le concours ?
-OH non ! J’ai payé, tout simplement, comme tous les autres.


J’étais assez ancien dans le pays pour ne m’étonner de rien. Mais j’étais toujours curieux de découvrir leurs façons étonnantes de régler les problèmes.
-Comment ça, tu as payé ? Explique-moi un peu.
-Et bien voilà Patron. Si tu veux devenir policier tu t’inscris sur la liste à la mairie et tu payes trente mille francs CFA (environ 100 Euros). Quand ton tour arrive on te donne l’uniforme et un carnet de procès-verbal. Tu dois fournir le Bic. Après tu es policier pour six mois.
-Et la formation ?
-C’est toujours en rang par deux.
-Je vois…Je vois… Très bien mon ami, je te souhaite bonne chasse aux P.V. A bientôt !
-Patron, s’il te plaît, quand j’aurai fini mon temps de policier, est-ce que je peux revenir à l’usine ?
-Pourquoi pas ! Mais en attendant, je te conseille de ne pas flanquer trop de P.V à tes anciens et futurs collègues. Sinon ils risquent de te pousser dans une machine.


A quelques temps de là j’avais rendez-vous avec le Maire. Nous avons réglé nos affaires puis l’envie de le taquiner me prit.
-Dites-moi, Monsieur le maire, on pratique la concussion à ce qu’il paraît ?
-La concu quoi ?
-Vos services feraient payer 30.000 francs aux candidats policiers pour être embauchés ! Vous le saviez ?
-Je le sais d’autant plus que c’est moi qui ramasse l’argent.
-Oh, Monsieur le Maire ! Vous me surprenez.
-Je vous surprends parce que je suis plus malin que vous ne le croyez. Vous connaissez pourtant bien mes frères africains et vous savez que les hommes sont faibles par nature. Si un policier est nommé à vie, il va se sentir fort et un jour ou l’autre il va exagérer en mettant des PV en pagaïe, pour un oui ou pour un non. Et pourtant je ne verrai pas venir plus d’argent, il gardera une bonne part pour lui !
-Mais il y a des carnets à souches ! Faciles à contrôler.
-On dirait que tu viens de débarquer dans ce pays ! Les souches, ça se perd ! C’est l’enfant qui a joué avec, c’est la mère qui a fait tomber dans la marmite, c’est la case qui a brûlée ! Voilà pourquoi je fais payer 30.000 francs d’avance. Comme cela je récupère une partie.
-Ma foi, c’est un point de vue. Et tous les six mois vous remplissez les caisses.
-Pas seulement. Le nouveau policier sait que six mois après c’est lui qui sera sur le chemin sans uniforme. Alors s’il a été trop méchant, ses successeurs vont vouloir se venger et récupérer des sous pour eux- mêmes ou pour leurs petits frères. Le type qui a exagéré il ne peut même plus sortir de chez lui. Croyez-moi, Cornier, mon système est bon. Vous devriez l’appliquer en France.
-Certainement, je ne manquerai pas de l’indiquer à notre Ministre de l’Intérieur.


Nous avons bien rigolé tous les deux.


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JP Cornier