vendredi 19 septembre 2008

Histoires de Petit Blanc


Pour tous ceux qui aiment l' Afrique ...

Pour donner un titre à ce « Bloc-notes » j’ai choisi celui de mon dernier manuscrit. Celui où je raconte les quarante ans de notre vie africaine.
Mais avant de vous parler de ce qui va devenir un livre, je veux me présenter.

Je m’appelle Jean Pierre Cornier et je suis né le 6 octobre 1931 à Caudry, une petite ville du Nord de la France, réputée pour son industrie textile productrice de tulle et de broderies fines.

Mon père, Samuel Cornier était Pasteur Protestant. Yvonne Dejarnac, ma mère, était femme de pasteur, ce qui pour elle n’était pas une position mais un engagement aussi
fort et absolu que celui de son mari.









L’un et l’autre étaient des gens simples et humbles. Mais en eux brûlait une prodigieuse force d’amour, de foi et de rayonnement. Cinquante ans après leur disparition, la mémoire de mes parents est toujours vivante et les gens de leur paroisse, les anciens comme les plus jeunes parlent encore d’eux avec une grande émotion.

Nés au début du siècle précédent, riches l’un et l’autre d’une culture universelle, diplômés, ils auraient pu mener une existence bourgeoise et aisée. Ils ont pourtant choisi de vivre dans une grande pauvreté au service de Dieu et des hommes.









Dès 1941 mes sœurs, mes frères et moi, (nous étions huit enfants), avons vu arriver à la maison des familles que nous ne connaissions pas. Ces gens étaient, le plus souvent, démunis, ne possédant qu’une ou deux valises, jamais plus. Ils étaient sombres et tristes et, à table ils ne parlaient pas. Parfois ils passaient une nuit couchés sur des matelas et ils repartaient au petit matin. Nous ne les revoyions jamais.

Mes parents ne posaient pas de question. Il leur suffisait de savoir que ces gens étaient persécutés pour leur venir en aide au risque de leur propre vie.

Le temps de guerre a été une période terrible pour les enfants que nous étions : l’évacuation vers le Sud devant la percée des Allemands, les bombardements de Péronne, Rouen, Evreux, Verneuil, les mitraillages sur la route dans le hurlement meurtrier des Stukas, nous avons vécu mes sœurs mes frères et moi toutes ces épreuves.


Cette époque a été pour nous, le temps de la faim et du froid. De juin 1940 à Mai 1941 notre père est revenu dans sa paroisse de Caudry en laissant sa famille à Saint-Palais. Pendant toute cette période de séparation nos parents échangèrent des lettres quotidiennes. Ces lettres, toujours écrites dans un français parfait, sont un témoignage extraordinaire de la vie des gens au jour le jour et illustre très bien ces temps de grandes difficultés et de souffrance.

Par exemple ma mère écrivait : « C’est la mort dans l’âme que je dois supprimer le goûter des enfants. Je n’ai plus la tranche de pain sec et le sucre que j’ai pu donner chaque jour…».

Ou encore : « Aujourd’hui Françoise n’a pas été au collège. J’ai dû porter chez le cordonnier sa paire de chaussures déjà si usée et je n’ai rien d’autre à lui mettre aux pieds… ».

En 1943 notre père est mort d’une angine de poitrine. Notre mère dut continuer seule le combat quotidien. Toutes ces épreuves auraient pu nous terrasser et démolir définitivement nos vies. Or tous mes frères et sœurs sont sortis de ses temps de guerre et de douleur fortifiés, grandis, armés pour construire, chacun à sa manière, une belle existence.

En 1946 ma mère m’envoya au Chambon sur Lignon, au collège Cévenol. J’y restai trois ans. Là, malgré une atmosphère assez extraordinaire, faite de paix, de travail et de joie collective, dans un cadre naturel aussi beau que rude, je ne brillai pas par ma réussite scolaire. J’améliorais beaucoup plus mes descentes sur l’aile, mes centres au cordeau et mes tirs croisés que mes traductions latines, mon vocabulaire anglais et mes équations du deuxième degré. Bref je me suis retrouvé au travail dans une usine de Saint-Amand-les-Eaux. Après un an passé devant le feu d’une forge je suis retourné au lycée mais cette fois avec une solide volonté de travail. C’est au lycée Ernest Couteau que j’ai fait la connaissance de mon épouse.

En 1951 mon sursit m’ayant été refusé par l’armée j’ai devancé l’appel et j’ai intégré une école militaire qui formait des mécaniciens avion. J’ai quitté l’armée fin 1953…


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Mon épouse lisant au-dessus de mon épaule me dit :

-Mais pourquoi racontes-tu ta vie pour présenter ton bouquin ? Tu vas raser les gens !

-Non, je ne crois pas. Parce qu’une vie, surtout une vraie vie d’aventures comme celle que nous avons vécue, ne se bâtit pas sur du sable, du vent, mais sur une base solide, une éducation rigoureuse, un environnement, des exemples, des épreuves. Voilà pourquoi j’ai commencé par raconter ma jeunesse. Mais tu as en partie raison … Revenons à nos moutons.


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En 1954 je suis parti travailler en Oubangui Chari pour le compte d’une Société Cotonnière.

A peine marié d’un mois, j’ai laissé ma jolie jeune femme sur le quai de la gare après lui avoir remis les trois sous d’économie que je pouvais avoir… J’avais, bien sûr des remords de la laisser derrière moi, mais, à l’époque, la règle était stricte. L’épouse ne pouvait rejoindre son mari qu’à la fin de la période d’essai…






Ma très longue carrière pouvait alors démarrer. Longue carrière, longue vie faite d’une formidable aventure familiale et professionnelle, d’un enchaînement d’évènements heureux, malheureux, de multiples contacts humains, d’expériences, de drames et de comédies. Je vais tenter de vous faire partager notre vie et notre amour de l’Afrique avec cent anecdotes toutes authentiques.

 
Cette  histoire vous divertira peut-être et vous donnera l’envie d’acheter mon livre :

Baudouin, chef de région en Oubangui Chari, a été l’exemple parfait d’un bon administrateur et le souvenir qu’il a laissé tient un peu de la légende.
...
Le clou de la journée était sans conteste le moment où le Commandant rendait la justice. Pour ce faire il installait sa table sous le grand manguier…à défaut de chêne. A sa droite un secrétaire, derrière lui les deux gardes et en face, assis à même le sol, en arc de cercle, regroupés autour du chef et des notables, il y avait tous les habitants du village. Personne n’aurait voulu manquer le spectacle, pour rien au monde.

La première affaire jugée était une affaire d’adultère. A l’appel de leur nom le mari, la femme incriminée et le suborneur se présentèrent devant le Commandant.

-Ainsi tu accuses cet homme d’avoir fait «mauvaise manière» avec ta femme ?
-Oui mon Commandant. Il a baisé ma femme et il n’a même pas voulu donner l’argent pour la tromperie. C’est pour cela que je porte plainte devant votre Haute Dignité représentante du Droit Civil, Militaire et Ménagé.
-Oh ! Il faut que tu m’expliques ce qu’est le Droit Ménagé !
-C’est le droit qui protège les ménages des voleurs de femme.
-Tu m’en diras tant ! Mais dis-moi, s’il avait payé tu aurais porté plainte ?
-Oh non ! Avec mille francs je ne serais pas venu emmerder votre Haute Dignité.
-Et toi, jeune homme, que réponds-tu à ces accusations ?
-C’est tous des mensonges ! Est-ce qu’un jeune homme comme moi peut baiser une vieille femme si vilaine !
-Ca c’est vu. Le mari t’accuse aussi d’avoir refusé de verser le prix de la tromperie comme il dit.
- Payé ! Pour une vieille femme qui ne vaut pas cinquante francs !
-Désolé, mais je ne connais pas les tarifs… Et toi, Madame, que réponds-tu aux accusations de ton mari ? As-tu couché avec cet individu ?
-Jamais mon Commandant !
-Pourtant je lis ici que tu as avoué.
-C’est parce qu’il m’a bien battue. Regarde mon dos on voit encore les marques.
-En effet. Mari, est-ce toi qui as frappé la femme ?
-Oui mon Commandant, mais pas avant ! Après, quand elle a avoué et que cet avare n’a pas voulu payer !
-Très bien je vois que, chez toi, l’argent est ta seule préoccupation. Mais je vois aussi qu’on va passer tout l’après-midi sur votre affaire sans parvenir à dénouer le vrai du faux. Aussi pour accélérer je vous propose le Jugement de Dieu.

Aussitôt la foule hurla :
-Le Jugement de Dieu ! le Jugement de Dieu ! le Jugement de Dieu !
-C’est bon, dit le Commandant.

Puis se tournant vers l’un des deux gardes :
-Victor, tu sais ce que tu dois faire.

Le garde alla vers une cantine, tira un grand sac de jute, pris un coq que lui tendait un paysan, le mit dans le sac et porta le tout dans une petite paillote qui se trouvait juste à côté du manguier.

Le Commandant s’adressa alors au jeune homme :
-Acceptes-tu de te soumettre au Jugement de Dieu ?
-Ben…Euh…
-C’est oui ou c’est non ?
-C’est oui, s’écria précipitamment l’accusé qui se voyait déjà perdu !
-Alors voilà ce que tu dois faire : tu vas aller dans la paillote, tu vas mettre la main dans le sac et caresser vigoureusement le coq. Si la volaille chante c’est que tu as baisé cette femme. S’il ne bronche pas c’est que tu es innocent. Compris ?
-J’ai bien compris Commandant.
-Alors va et que Dieu te juge !

Toute cette procédure n’était certainement pas très républicaine et laïque, mais elle était adoptée par tous avec jubilation.

Sur ordre du Commandant l’accusé entra dans la paillote avec l’attitude du condamné montant sur l’échafaud. Aussitôt un silence de cathédrale vide s’installa sur l’assemblée ; toutes les oreilles guettaient le moindre caquètement. Rien !
-Et alors, aboya le Commandant ! Tu caresses ?
-J’ai déjà caressé mon Commandant !
-Recommence !

Toujours rien. Le silence absolu.
-C’est bon tu peux revenir.

Le jeune homme sortit de la cabane et vint se planter fièrement devant le Commandant avec l’air de celui qui a gagné la course.
-Montre tes mains.

Le gamin présenta ses mains qu’il avait bien propres et bien noires.
-Victor le sac, ordonna le Commandant !

Le garde qui connaissait parfaitement son rôle plongea la main dans le sac et caressa le coq qui aussitôt si mit à piailler comme si on l‘égorgeait. Le garde retira sa main et la présenta au Commandant puis à la foule. Elle était blanche de farine.

Aussitôt une immense clameur s’éleva de la foule qui s’était levée d’un seul élan.
-Hou ! Hou ! Houououou ! Menteur, tricheur, violeur!

Pris de panique le jeune homme tenta de fuir. Mais Victor veillait et immobilisa le fugitif.
-Ainsi tu as menti, tonna le Commandant, et tu n’as pas caressé le coq. Et tu as menti parce que tu as bien baisé Madame ?
-Oui, avoua le Don Juan de brousse d’un air piteux.
-Dans ce cas je te condamne à une amende de 3000 francs et à dix coups de chicottes. Exécution immédiate !

Victor saisit les mains du condamné et le força à se pencher en avant. Son collègue appliqua la sentence d’une main ferme. Chaque coup était ponctué par un hourra de la foule.
-Quant à toi le mari je te condamne à 2000 francs d’amende pour avoir fait le maquereau en réclamant de l’argent. Et à dix coups de chicotte pour avoir battu ta femme. Exécution !

Le public applaudit à tout rompre. Et encouragea de ses hourras le bourreau.
-Toi Madame, tu m’as menti aussi et je devrais t’infliger la même peine. Mais comme tu as déjà reçu ta ration de coups je te tiens quitte.

Un oh de déception souleva la foule. Et voilà comment Mr Baudouin rendait la justice en ces temps heureux. 
Cliquer sur la photo si vous voulez zoomer ...

 





                                                     
En Janvier 1994 j’ai pris ma retraite à 63 ans. La direction générale de la CFDT qui souhaitait encore profiter de ma connaissance de l’Afrique et d’une expérience professionnelle accumulée pendant quarante ans m’a proposé des missions ponctuelles. Ainsi jusqu’en 2005 j’ai servi au Tchad, au Burkina Faso, au Mali, au Vietnam, en Tunisie, au Nigéria et de nombreuses fois au Bénin.

L’année dernière on m’a proposé deux nouvelles missions. Mais pour la première fois j’ai refusé. Je n’avais plus le courage de manger du poulet bicyclette deux fois par jour, sept jours sur sept, de dormir sur des matelas improbables, de me faire dévorer par les moustiques et de me casser les reins sur des pistes défoncées. Bref j’ai perdu ma jeunesse. Et puis au fond de moi j’ai peur de ne plus retrouver l’Afrique que j’ai tant aimée. Mais puisqu’on nous dit que l’Afrique est le berceau de l’humanité, j’espère que le Paradis s’y trouve aussi.
Alors aurai-je, peut-être, une petite chance d’y retourner ?


Fin

Copyright © 2008 Jean-Pierre Cornier. Tous droits réservés.



10 commentaires:

Anonyme a dit…

Longue vie à ton blog Papa !!!
Nathalie.

Anonyme a dit…

Bonjour,
Voici un blog littéraire intéressant où la plume manie avec destérité et adresse. Je ne connais pas vos ouvrages mais il est certain qu'ils ne manqueront pas de lecteurs.
Je suis moi-même auteur-écrivain et j'ai publié un recueil de nouvelles...
Amicales pensées,
Jyckie.

JL Schleimer a dit…

Salut Jean-Pierre,
Ton blog m'est parvenu par Nicole et Jean comme un cadeau de Noël.
Je suis ému par la facilité de lecture de ton ouvrage enfin reconnu par tous.
Te connaissant, je suis assuré que chacun des "mots", qui le composent, ont été longuement réfléchis, pesés et raturés mainte fois. Ces mots sont devenus "Ton" histoire et je suis très heureux d’en avoir un tout petit peu fait partie.
Je te garde une sincère gratitude et je n’oublie pas Nana, ton épouse.
Amitié très sincère de Jean-Louis Schleimer

Anonyme a dit…

Bonjour l'ancien!
A l'époque où vous arriviez à Libengue, je naissais à 2000km plus au Sud, à Elisabethville, aujourd'hui Lubumbashi. Quel bonheur de lire ce récit. J'y retrouve tant de souvenirs. Entre l'Afrique centrale et l'Afrique de l'Ouest, nos chemins se sont croisés à plusieurs reprises sur la route du coton, et j'ai pu apprécier nombre de vos qualités sans connaître vos talents d'écrivain. Je me rappelle pourtant ces longs déplacements en voiture au Bénin agrémentés d'histoires savoureuses sur vos débuts à la Cotonaf.
Merci pour cet ouvrage, cette histoire à laquelle, comme tant d'autres, je me sens lié.
Amicalement,

Alain Pirlot

moniberg a dit…

Un récit très agréable à lire, un style qui "coule" bien. C'est vivant, on apprend des choses et l'humour n'est pas oublié. Bravo pour ces "histoires de Petit Blanc"!

Anonyme a dit…

Je recommande le livre de Jean-Pierre Cornier, "Histoires de Petit Blanc".

Témoignage et leçon de vie à travers l'Afrique.

Ce livre est un bijou, tout en étant drôle, il reste respectueux envers ceux qu'il dépeint.

MTS.

lode a dit…

Hello , bwana
cela fait déjà quelques mois que j'ai lu votre livre, par petites doses ..une dizaine de pages par soir!! Une bonne méthode pour se remettre dans l'odeur de la lampe à pétrole ,le milieu ,l'ambiance... et prolonger ainsi le plaisir. Ancien de "là-bas , chez nous ..", j'ai apprécié à sa juste valeur je crois , les rencontres , les dépannages , parfois les rancoeurs pour certains..J'ai vécu au Katanga de 1950 (arrivé à 2 ans) jusque 1990 et cette période ne peut s'effacer. J'ai en tout 36 ans d'Afrique pour 26 de Belgique.36 ans de bonheur intense et permanent . Ici .. 26 de routine et d'indifférence ..
Coton OYE !!, Cornier OYE!!

Anonyme a dit…

Jean-Pierre,

Felicitations aussi a votre fille pour cette presentation pleine de tendresse et d'emotions. Resumer en quatre minutes une vie si chargee est loin d'etre aise. Tout y est: humour, realite, nostalgie... Bravo, et bonne annee, patron!

Amities,

Alain Pirlot

Belot a dit…

Sur la couverture de votre livre, j'ai vu une petite fille dans une pirogue : la pirogue, c'est un de mes meilleurs souvenirs lorsque j'habitais à 9 ans à Lukoléla du côté belge, avec mes parents, en 1939. Je suis toujours en Afrique. J'ai commandé votre livre et me réjouis de plonger dans vos souvenirs.

Unknown a dit…

Cher Monsieur Belot,
Je réponds tardivement à votre messsage qui m'a beaucoup touché. Effectivement, j'ai vécu et travaillé à Bambari( Oubangui-Chari, comme on disait à cette glorieuse époque, de 1954 à 1970). Mes trois enfants sont nés là-bas et c'est ma fille ainée qui est sur la couverture de mon livre. Cette vie passée, a été heureuse et riche de souvenirs. Vous avez sûrement connue la même de l'autre côté du fleuve. Vous la retrouverez en lisant mes "Histoires de petit blanc". Merci encore et amitiés. JPC

Histoires de Petit Blanc

Histoires de Petit Blanc
JP Cornier